Le texte ci-dessous provient du site du Conseil Andin des Premières Nations
Dès son très jeune âge, tout d'abord avec ses parents, puis avec son époux le grand chef aymara Tupaj Katari (Julián Apaza), Bartolina se dédia au commerce de la feuille de coca et de tissus autochtones. Cette occupation la conduisit à voyager par d'innombrables lieux, ayllus, villages, communautés et villes, depuis les vallées des Yungas du département de La Paz jusqu'à l'immense et aride altiplano andin.
C'est cette occupation fébrile qui permit à Bartolina Sisa de se libérer des conditions de servitude et d'esclavage, sort réservé à son peuple par les colons et les seigneurs féodaux d'origine européenne. Elle observa avec sagesse ses frères de sang être l'objet des plus outrageuses soumission et humiliations, non seulement de la part des autorités cléricales, militaires etc., constituées de blancs européens, mais encore des métis et des créoles asservis aux colonialistes.
Ainsi, Bartolina Sisa prendra conscience de la terrible situation de son peuple, acquerrant la conviction nécessaire pour libérer des chaînes de l'oppression les communautés autochtones des Andes et lutter pour leur émancipation définitive. Pendant ce temps, tant Bartolina Sisa que son époux Tupaj Katari saisirent l'occasion d'emprunter la voie libératrice tracée par leurs prédécesseurs José Gabriel Condorcanqui (Tupaj Amaru) et les frères Dámaso et Tomás Katari de Chayanta, dont ils partageront les objectifs d'émancipation basés sur une solide convergence de critères, tactiques et stratégies de lutte.
Ils décidèrent donc d'élaborer un plan d'actions dûment systématisées qui mit sur un pied de guerre plus de 150 000 indigènes de la région la plus conflictuelle du Pérou ainsi que les régions boliviennes de La Paz, Oruro et la vallée de Chayanta. Cette armée levée par Katari et Sisa et comptant 20 000 combattants au début du siège de la ville de La Paz (13 mars 1781), doublera ses effectifs en quelques jours pour ensuite dénombrer pas moins de 80 000 combattants 5 mois plus tard.
Bartolina Sisa, toujours drapée de la Wiphala sacrée, une jeune femme intelligente et très séduisante, de teint mat, aux traits réguliers, attrayants, aux magnifiques yeux noirs, est considérée comme un phénomène non seulement pour sa beauté naturelle, mais encore pour ses talents innés de commandement politico-militaire : sa vision perspicace, son sens des responsabilités, sa discipline, sa force de caractère, sa capacité de prendre les décisions appropriées au moment opportun, ainsi que pour la confiance et la sécurité qu'elle savait inspirer à ses troupes. C'est ainsi qu'à l'éclatement de l'insurrection Aymara-Quishwa de 1781, tandis que son époux était proclamé Vice-roi de l'Inca, Bartolina Sisa fut à son tour nommée Vice-reine, non parce qu'elle fût l'épouse de Tupaj Katari mais bien pour ses nombreux mérites.
Durant le siège de La Paz, Bartolina Sisa et Tupaj Katari partageront de façon égale le commandement des troupes. De cette manière, Bartolina Sisa sera amplement acceptée et reconnue par tous les niveaux hiérarchiques. Il ne fait aucun doute quant au respect, à l'affection et a l'appréciation témoignés par leurs troupes à ces deux chefs guerriers au leadership indiscutable.
Le 29 juin 1781, les royalistes porteront un dur coup au bataillon de Tupaj Katari, provoquant une inévitable dispersion des troupes. Au même moment tombera le siège de La Paz, tandis que feront rage des rumeurs prétendant que la rébellion avait été matée, raison pour laquelle les autorités coloniales offriraient l'amnistie aux rebelles leur remettant les meneurs du soulèvement, incitant ainsi à la trahison la plus honteuse.%%
C'est ainsi que le 2 juillet, sur le chemin entre les campements de El Alto et de Pampajasi, la Vice-reine et commandante Bartolina Sisa , dans un acte de lâche trahison et de conspiration avec les envahisseurs espagnols, fut prise de court par une embuscade complotée par des membres de ses propres troupes. Ces derniers la remirent aux autorités coloniales en tant que prisonnière de guerre.
Au matin du 5 septembre 1782, l'héroïque guerrière aymara subira l'exécution de la sentence décrétée par l'oppresseur espagnol, dont le texte décrète :
" A Bartolina Sisa, femme du féroce Julian Apaza connu comme Tupa Catari, comme peine ordinaire de Supplice, qu'à sa sortie de prison elle soit promenée autour de la Place Principale attachée à la queue d'un Cheval, une corde au Cou , avec des Plumes, et une Croix fixée sur un Bâton de bois dans la main, et qu'à la voix du crieur qu'elle soit publiquement conduite à la Potence afin qu'on la pende jusqu'à ce que la mort s'ensuive; et ensuite que soient clouées sa tête et ses mains avec l'enseigne correspondante qui sera exposée à la risée publique en les lieux de Cruzpata, Alto de San Pedro, Pampaxasi, où étaient installés ses juntes séditieuses; et qu'après quelques jours soit conduite la tête aux communautés de Ayohayo et Sapahagui dans la Province de Sicasica avec ordre qu'elle soit brûlée et que soit dispersée les cendres aux vents, où l'on estimera convenable. "
Et la sentence fut exécutée.
La grande Bartolina Sisa, irréductible commandante en chef des forces libératrices des nations autochtones andines, mourra pendue, non sans auparavant avoir subi d'immondes tortures physiques et morales, flagellée, violée, fouettée, traînée sous les coups de pieds dans un immense mare de sang. Par la suite elle fut promenée nue sur un âne à la place coloniale de La Paz (aujourd'hui Plaza Murillo). Depuis ce temps, cette place demeure souillée en ses quatre points cardinaux du sang de Bartolina Sisa, Gregoria Apaza et des nombreux autres ayant sacrifié leurs vies avec elles pour la restitution des libertés des nations autochtones.
Une fois Bartolina Sisa morte, ses bourreaux démembrèrent son corps et exhibèrent sa tête et ses membres dans différents lieux des ayllus et chemins où elle avait lutté. Sa tête fut plantée sur la pointe d'un pieu et exhibée à Jayujayu-Marka (aujourd'hui Aroma, département de La Paz), " afin d'effrayer les Indiens (sic.) ", aux dires mêmes de ses tortionnaires. Ses extrémités furent envoyées à Tinta-Marka, une communauté située dans l'actuel Pérou, où on les piqua également à la pointe de pieux.Ces ignobles faits de brutalité, de barbarie et de sauvagerie sans nom ont laissé de profondes plaies et cicatrices en nous, les enfants des peuples autochtones. Ces cicatrices, tracées par l'héroïsme tant de Bartolina Sisa que de Micaela Bastidas, Gregoria Apaza, Kurusa Llaxi et d'innombrables martyrs, sont le véritable reflet de l'histoire réelle des ayllus de l'ancestral Tawantinsuyu et du monde indigène du Abya-Yala.
Plus de 220 ans se sont écoulés, et l'exemple de la lutte de Bartolina Sisa persiste, gravé dans la mémoire et le coeur de ses enfants; son souvenir, errant parmi les Andes majestueuses et éternelles, hante l'esprit des nations autochtones millénaires. Nous nous rappelons sa mémoire avec grande douleur et tristesse, mais sans cette attitude propre aux vaincus et aux soumis; son souvenir ravive notre courage, et nous marchons la tête haute, le coeur rempli d'enthousiasme, convaincus qu'un jour prochain, une réflexion mesurée nous permettra de reprendre le chemin de la libération face à l'actuel système néolibéral de pillage et de profit aveugles.